Former des chefs – Entretien avec François Bert et François Dupont

15 janvier 2021

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Former des chefs – Entretien avec François Bert et François Dupont

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François Bert et François Dupont ont fondé en 2019 avec Caroline Ruellan l’École du discernement, dont la finalité est de former les décideurs publics et privés à la prise de décision. Dans l’entretien qu’ils nous ont accordé, ils reviennent sur la notion importante de chef, son rôle dans l’entreprise et comment il peut se former.

 

François Bert est diplômé de l’ESM Saint-Cyr. Ancien officier parachutiste, il a servi dans la Légion étrangère. Il fonde le cabinet Edelweiss RH en février 2011 puis l’École du discernement en 2019.

Diplômé de l’école Navale, l’amiral François Dupont a réalisé l’essentiel de sa carrière dans la conduite des sous-marins nucléaires. Il a également exercé de hautes responsabilités au sein de l’état-major de l’armée.

Propos recueillis par Louis du Breil.  

 

Le mot chef semble être de nouveau légitimé, pourtant il est difficile de s’entendre sur sa définition. Pour vous, qu’est-ce qu’un chef ?

François Bert. Certainement pas un manager, ou certainement pas que ça. Un manager produit de la performance. Manager, c’est de la gestion, c’est s’assurer que les objectifs fixés fonctionnent, que les indicateurs de performance sont au vert. Les indicateurs de performance sont une manière commode de donner une bonne note à la défaite. Dans le nucléaire, les gens font des « accidents conformes ». Or être chef c’est se repositionner sans cesse sur l’endroit où l’effort collectif doit être concentré. Les indicateurs de performance sont des instruments de premiers de la classe. Un leader produit de l’engagement. Un chef produit de la victoire.

Et cette victoire, comment est-il possible de la définir ?

FB. Un esprit, une modalité, ne jamais céder face aux événements. Concrètement, c’est l’alignement permanent du talent de chacun sur le débouché collectif. Pour un chef, c’est prendre en compte tous les talents à sa disposition pour leur donner les meilleurs débouchés. Tous les événements peuvent être des débouchés de l’action collective. Cela génère le sentiment d’utilité. Un chef dit à ses subordonnés : en quoi peux-tu contribuer ? Qu’as-tu de singulier qui puisse avoir un apport crucial et déterminant pour le collectif ? D’où l’importance capitale pour le chef de détenir et pratiquer cette intelligence du lieu des débouchés.

Votre action de formation se concentre notamment sur les plus jeunes. Comment former des lycéens ou des étudiants pour leur permettre de devenir un chef ?

FB. La première étape, c’est de se connaître. Il est bon d’expérimenter : il faut savoir si on est plutôt « prêtre, prophète ou roi ». C’est comme en escalade, les bras sans les jambes ça ne sert à rien. Suis-je plutôt fait pour être manager de projet (cérébral : je conçois, je construis), manager d’animation (croissance de la personne pour la personne), ou chef opérations (vision permanente du lieu de débouché de l’effort collectif). La formation morale aide elle-aussi : elle assure un rapport à l’effort. Surtout dans une génération de zapping où tout est simple. Si on n’expérimente pas le dépassement, on passe son temps à subir face aux événements. Enfin, la culture générale. Elle précampe dans l’esprit des situations qui facilitent le discernement. Notamment par l’histoire, mais aussi par la littérature : on explore ce qui est humain, les succès, les échecs….

Vous utilisez souvent le terme de discernement sur lequel vous vous appuyez dans vos formations. En quoi celui-ci est-il important ?

FB. Le discernement revient, le fantasme passe. Le discernement c’est de l’écoute accumulée jusqu’à l’évidence. La certitude est un aller-retour avec la pensée, elle se fait en apnée du savoir. L’évidence nous saisit, c’est une écoute imprégnée d’une réalité jusqu’à ce que ça saute aux yeux. Il y une marée de l’évidence : on a beau la repousser, elle revient toujours. Louis XIV disait : « gouverner c’est laisser agir la facilité du bon sens ».  

Que doit être le rapport du chef à la défaite ou à l’échec ? Y a-t-il de bons et de mauvais échecs ?

François Dupont. Ce que l’on remarque chez les grands chefs d’État ou les grands dirigeants, c’est que l’échec est certainement une des meilleures écoles dans la mesure où elle apprend les raisons de l’échec. Globalement, un chef qui ne voudrait pas prendre de décision pour éviter tout échec, serait un chef qui ne prendrait pas de risques. Or dans le discernement il y a une prise de risque. S’il n’y a pas de prise de risque, il est certain qu’il n’y aura pas d’effet majeur. Quand c’est nécessaire, Napoléon n’hésite pas à engager dans la bataille jusqu’à sa propre garde, sa dernière cartouche, qui parfois lui permet de gagner.

François Bert. Le discernement, parce qu’il procède d’une écoute de la réalité mouvante beaucoup plus que d’une logique de savoir, induit l’intelligence de trajectoire. L’exemple de Churchill est ici particulièrement révélateur. Lui qui avait presque tout raté, de sa carrière politique à la piteuse expédition des Dardanelles, on ne retient de lui que le lion de la Seconde Guerre mondiale. Finalement, Churchill mesure une trajectoire dont le bouquet final fait oublier les écarts. Un chef d’opérations est un maître du temps. Il permet non pas tant un condensé de choses positives que les conditions les moins pires possibles pour que dans la durée, on puisse avoir une fécondité et coller à la réalité.

Un chef est capable de concentrer ses efforts et donc d’assumer une prise de risque considérable sur ce qui lui paraît indispensable et de mettre de côté beaucoup de choses. C’est la notion de « butoir et main courante ». En topographie, la notion de butoir et main courante c’est d’être capable, plutôt que de faire des itinéraires aboutis, de dire quels sont les endroits sur lesquels il faut s’arrêter et ceux sur lesquels on peut être souple. Par exemple, pour indiquer la route à suivre entre Montmartre et la porte d’Auteuil, soit on donne la liste de toutes les rues pour y aller, soit on donne « itinéraire plein sud, butoir la Seine ». Donc tant qu’on n’est pas arrivé sur la Seine, on peut continuer (le butoir c’est la Seine qu’il ne faut donc pas traverser). Ensuite, deuxième partie de l’itinéraire, « aller plein ouest avec la Seine en main courante à gauche ». L’idée est de simplifier l’itinéraire pour le rendre accessible à tous. Comme disait Napoléon à Fouché : « L’art de la police est ne pas voir ce qu’il est inutile qu’elle voie ».

A écouter aussi : Podcast – La liberté du commandement. Loïc Finaz

Mais le commandement suppose aussi de la distance ?

FD. Savoir laisser faire les autres. Quand on confie une responsabilité à quelqu’un, on lui confie une part de l’autorité. L’autorité n’est pas simplement du ressort du chef. Si on ne lui reconnait pas cette part de l’autorité sur l’ensemble, on le dévalue. L’autorité est celle de tous ceux qui ont participé à cette mission, à cet effet majeur.

FB. Dans ce travail de prise de distance, deux choses sautent aux yeux :

  • Le besoin de rendre les choses simples, le tri en fait : trop de chefs sont des courroies de transmission qui balancent des milliards de données et de choses à faire et en plus en venant contrôler derrière l’échelon là où tout le sujet est de rendre simple et de rendre unique ce qui est multiple, de donner une direction unique.
  • Le fait de rendre visible la mission. La prise de distance permet de mettre fin à deux affections désordonnées comme dirait saint Ignace (qui parle plutôt de passions désordonnées) qui sont l’affection démesurée pour les idées (en politique c’est le « oui mais », « ça serait mieux que ») et l’affection démesurée pour les relations (« des gens ne seront pas contents si je fais telle ou telle chose »).

Ce qui suppose aussi de connaitre ses échecs ?

FD. Un chef qui reconnait son échec sort grandi de l’affaire au lieu de le cacher ou de se dédouaner etc… L’exemple de Nicolas Sarkozy est révélateur : s’il avait reconnu un certain nombre d’échecs dans son premier quinquennat, il n’est pas certain qu’il aurait vaincu Hollande au second tour, mais il aurait probablement recueilli plus de voix.

Le chef doit aussi savoir prendre des décisions, ce qui n’est jamais le plus simple.

FB. Il y a deux niveaux de décisions : stratégique et courante. Comment trier les deux ? D’abord il faut se poser la question simple : est-ce qu’une non-décision a une conséquence immédiate ? Toute décision qui ne nécessite pas que l’on se prononce de façon urgente peut être laissée de côté. Toute décision qui n’exige pas une réponse immédiate doit être mise dans la « chambre de faisanderie » : on laisse la viande faisander toute seule et viendra le moment où l’élément manquant viendra combler le trou, car c’est le propre du temps de livrer les pièces manquantes. Le temps révèle par pans successifs des éléments clés, et il faut le laisser opérer.

 

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François Bert

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